« J'en viens à ce fameux jardin de la mère Léonard , haut lieu de la gastronomie bahutienne et de la maraude scientifiquement organisée. Bien sûr , il y avait la bonne morale puérile et honnête qu'on nous enseignait fort bien d'ailleurs (même en marge de certain sirupeux manuel signé Abd'er Halden,,,) mais le moyen de faire autrement quand , à quelques mètres à vos pieds, mûrissent les fruits succulents du paradis terrestre, alors que la fade cuisine communautaire de l'internat ( ou de la demi-pension)vous offre sempiternellement la même compote au relent pharmaceutique ?
Et puis surtout, le jardin de la mère Léonard, c’était pour nous les raisins de la colère, les fruits amers, mais délicieux de la vengeance : car c'est par une histoire de ballon que tout a commencé, bien avant nous, c'est certain : du moins c'est ce que nous rappelait un folklore déjà ancien dont nous demeurions les zélateurs fidèles.
Oh ! Rien de très compliqué : placez une centaine de potaches dans une cour fermée au levant par un grillage surmontant le mur de clôture ; au bas de ce mur , le fameux jardin , dans ce jardin un chien accompagnant ses maîtres .Donnez à ces potaches un ballon , les parties de foot s'organisent et l'inévitable arrive : ces grillages sont toujours trop bas , les reprises de volées trop hautes et flac ! Voilà le ballon au beau milieu d'une planche de légumes.... et trente ou cinquante visages anxieux de surgir derriere le grillage pour demander le ballon, libéralement rendu les premières fois .
Mais comme l'incident se reproduit à des dizaines d'exemplaires chaque jour au grand dommage du jardin , les rapports s'aigrissent vite , on proteste coté jardin , coté cour, les demandes sont moins polies, parfois même ce n'est peut être plus un hasard que la balle bondit au centre d'un carré de fraises.... Un beau matin , on ne rend plus le ballon , ou bien le chien-loup le crève d'un coup de dent ; et sonne l'heure de la vengeance à l'échelon d'une génération, une vengeance devenue un immuable rite homérique sans aucun lien causal avec les incidents originels. J'ose espérer que les propriétaires de ce jardin au demeurant bien exposé s'y consacrait pat amour de l'exercice physique , par besoin d'une détente désintéressée ; à coup sûr ne devait le guider aucun soucis de rentabilité , car de mémoire de potache jamais aucun fruit n'y vint à maturité pendant mes cinq ans de boîte : fraises ou cerises se trouvaient dévorées à peine rosissantes ; les raisins n'étaient jamais trop verts pour les goujats que nous étions ….
Au beau milieu du jardin trônait une mare passablement odorante où verdissait flegmatiquement une eau verte aromatisée et enrichie à la crotte de volaille . U jour en pleine récréation , le ballon s'en fut donc dans la zone ennemie : rapide inspection : personne en vue ! Hop un grand se laisse glisser dans la varappe familière ; malencontreusement une prise cède et voilà mon homme gigotant au beau milieu de la « botasse » comme un fragile coléoptère dans une goutte de rosée. Dire l'ovation qui accueillit au retour à l'étage au dessus demanderait les métaphores chères au vieil Homère . E t quelles odeur, mes amis ! De ses longs cheveux dégoulinaient deux lignes de gouttelettes parallèles d'une eau puante.Ne lui fallut-il pas encore , oh comble de l'humiliation, rencontrer sur le chemin du vestiaire l'étonnement amusé d'un professeur. : »Eh bien mon ami... qu'est ce qui vous arrive ? »
L’intéressé, aujourd'hui un de mes respectables collègues, a peut -être laissé l'incident s'estomper dans sa mémoire , mais à jamais il reste gravé dans les nôtres , comme aussi ce mot « botasse » qui devait demeurer attaché à sa personne , contre son gré, bien sûr, comme tous les surnoms .
Notes : ce jardin et cette « botasse » ont existes jusqu’à la construction du lycée actuel et les ballons allaient inévitablement finir au milieu des fraises et les mêmes aventures sont arrivées aux lycéens plus tard , la légende continuait...
ce jardin correspond maintenant au restaurant scolaire en partie ,le mur existe encore .